Giochi dell'Oca e di percorso
(by Luigi Ciompi & Adrian Seville)
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"De la Restauration à la seconde République"
Autore: Girard&Quetel 
On comprend qu’après l’épopée impériale les jeux de l’oie aient boudé les rois falots de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, sauf à ajouter leur effigie à la suite des autres dans les jeux de l’oie historiques et chronologiques qui, en ces temps troublés, se succèdent à une cadence accélérée. On y relève d’ailleurs un oubli facheux puisque Napoléon est occulté dans le "Nouveau jeu historique et chronologique de la monarchie française" qui parait en 1814, avant les Cent-Jours, et qui part de Clovis pour aboutir à "Louis XVIII le Désiré". Si Napoléon réapparait dans le "Jeu de l’Histoire de France" de 1837, c’est encore par calcul politique. En effet, alors que la légende napoléonienne a été une arme pour les opposants des règnes de Louis XVIII et Charles X et que ceux-ci ont donc tout fait pour en atténuer l’intensité, elle est devenue au contraire une bonne affaire pour Louis-Philippe plus menacé par les légitimistes que par les bonapartistes, surtout depuis la mort du roi de Rome, en 1832. Décidément, nos jeux de l’oie sont de moins en moins innocents et servent sans vergogne le pouvoir du moment. Cette dénomination de "Louis XVIII le Désiré" peut paraitre quelque peu outrancière, surtout dans le contexte de 1814, alors que bien peu de Français auraient pu dire ce qui restait exactement de la famille royale. Après un empereur botté et à cheval, un roi revenu dans les fourgons de l’ennemi, goutteux, obèse, pouvant à peine se tenir debout. Pourtant, l’Histoire en a fait sinon un roi désiré, du moins un roi acceptable, dont le malheur fut de ne point etre accepté. "Ce régime n’était point parfait", nous apprend le petit Lavisse dans un de ces morceaux les plus délicieux. "Mais il valait beaucoup mieux que l’ancien, d’avant la Révolution. Le pouvoir du roi n’était pas absolu (...). Si tout le monde avait accepté ce régime, il serait devenu meilleur peu à peu, et l’on n’aurait pas été obligé de faire des révolutions". C’est pourtant Louis XVIII qui inaugure vraiment le XIXe siècle, après la parenthèse révolutionnaire et impériale. Dès ce moment en tout cas, Dieu et l’Eglise sont solidement remis en selle et vont constituer ce qui a été peut-etre la plus solide armature du XIXe siècle, jusqu’à et en dépit de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat (1905). Le "Jeu familier de la civilité" qui parait en 1815, au tout début du règne de Louis XVIII, est sans équivoque à cet égard, de la case 1 qui commande "saluez les Eglises et les Croix devant lesquelles vous passez", à la case 63 où se lit en une association nouvelle la devise "Dieu, Le Roi, La Patrie", la reprise en main religieuse de la jeunesse est tout à fait nette: il faut prier Dieu soir et matin, le craindre (ce qui est le commencement de la sagesse), apprendre le catéchisme et le réciter avec respect, saluer les ecclésiastiques, se mettre à genoux devant les éveques, se prosterner devant le très saint-sacrement quand on est à l’église. Que l’enfant qui entre ainsi dans le XIXe siècle ne s’en tienne pas là : il doit aussi obéir à ses supérieurs sans murmurer, etre bien poli avec tout le monde, etre vetu modestement, ne cracher ni par la fenetre ni dans le feu, ne mettre son chapeau ni sur le coin de l’oreille ni trop en avant, etc., etc. Les cases ordinairement réservées aux oies sont remplacées par des allégories rappelant que la science est le fruit des études, que la civilité nous rend tous égaux devant la Société, que l’obéissance est une fille naturelle de la civilité, etc. Quant à celui qui ne serait pas encore découragé par ce "Jeu familier" qu’il aille un peu voir à la case 58 (la mort): "en perdant tous ses points et en recommençant la partie, il se convaincra de cette vérité qu’il ne faut pas se réjouir à l’avance d’un plaisir incertain, puisque la mort détruit en un moment les plus douces illusions, et ne nous laisse que l’espoir de l’éternité..." Léon Daudet a consacré tout un livre au « Stupide XIXe siècle» qu’il appelait en toute simplicité "le Stupide". C’était à coup sur méchant, et peut-etre meme faux. "L’ennuyeux XIXe siècle" eut été plus exact. Après la Révolution de 1830 qu’un jeu de l’oie commémore "à chaud" (les barricades, ou les trois journées de juillet), la Monarchie de Juillet qui s’installe pour dix-huit ans est donc le plus long gouvernement qu’on ait vu en France depuis la chute de l’Ancien Régime. Triomphe de la Bourgeoisie, de l’ordre social, époque de la renaissance coloniale avec la conquete de l’Algérie qui commence en 1830, début de la Révolution industrielle et de l’urbanisation, le règne de Louis-Philippe voit aussi se développer une opposition républicaine dans la petite bourgeoisie, chez les étudiants et parmi les ouvriers. Un philosophe, ami de George Sand, invente en 1830 un mot riche d’avenir: le socialisme. Mais plutot que des idées socialistes, ce sont les idées sociales qui se fraient un chemin, malgré la censure de la presse (depuis les lois de septembre 1835, il est interdit de se proc1amer républicain). Pourtant la misère et l’injustice ne sont pas difficiles à apercevoir pour qui veut bien les regarder. De cette révolte contre l’injustice et la misère, naitra le « quarante-huitard » de la Révolution de 1848, plus "sensible", au sens romantique, que doctrinaire. Parmi ces partisans de la justice sociale, Eugène Sue est certainement le meilleur représentant de toute une génération de romanciers qui ont voulu mettre leur plume au service d’une mission : inspirer l’horreur de l’injustice, du crime, et la sympathie "pour les infortunes proches, courageuses, imméritées, pour les repentirs sincères, pour l’honneteté simple, naive" (Lettre à Madame de Solms). C’est dire que "Les Mystères de Paris", "Le Juif Errant", "Les Sept péchés capitaux" vont etre autre chose que de simples romans. Né en 1804, filleul de l’impératrice Joséphine, chirurgien dans la Marine de guerre avant de vivre confortablement de ses rentes après la mort de son père, Eugène Sue écrit à partir de 1829 des romans d’aventures et des romans historiques qui connaissent un certain succès. Rien de comparable cependant au coup de maitre des Mystères de Paris que le Journal des Débats fait paraitre en roman-feuilleton (dont ce sont les débuts) en 1842 et 1843. Le succès est prodigieux: on fait la queue au journal pour s’arracher le numéro suivant. L’auteur avait prévu deux volumes, il en écrit dix. "C’était du délire, la France entière, depuis Louis-Philippe et le maréchal Soult jusqu’aux ouvriers qui écoutaient la lecture que leur faisait l’intellectuel du groupe, vécut suspendue aux aventures de Fleur de Marie et du Chourineur" (P. Chaunu, Eugène Sue et la Seconde République, 1948). L’histoire est celle de Fleur de Marie, l’héroine, recueillie par une affreuse mégère, et contrainte à la prostitution. Rodolphe, grand duc allemant, déguisé en ouvrier, sorte de Zorro voué à redresser les torts et secourir la veuve et l’orphelin, la sauvera-t-elle? Oui, pour la perdre de nouveau, et la sauver encore, avant de s’apercevoir que Fleur de Marie (on l’avait deviné) n’est autre que sa propre fille. Tout va bien, donc? Non. Fleur de Marie, hantée par son passé, refuse le riche mariage d’amour qui s’offre à elle pour se faire religieuse. Elle mourra peu de temps après. Autour de cette intrigue simpliste, gravite une foule de personnages devenus célèbres : le couple criminel de la Chouette et du Maìtre d’Ecole, le Chourineur, assassin repenti au grand coeur, le brave ouvrier Morel, le fameux concierge Pipelet, etc. L’évocation réaliste des bas-fonds de Paris, à une époque où les Champs-Elysées ne sont encore qu’un bois mal famé avec des cabarets borgnes, la mise en scène des "classes dangereuses" avec la dénonciation implicite de la misère et du crime, ont été autant de facteurs du plus grand succès littéraire du XIXe siècle, meme si Barbey d’Aurevilly reprocha à Eugène Sue de "travailler pour la littérature à quatre sous avec un badigeon grossier et voyant". Malgré cela (ou grace à cela), tout un public nouveau, tout un peuple qui ne venait d’accéder à la lecture que depuis peu, écouta les leçons du magicien, propagandiste d’une République démocratique et sociale qui rata son coup au lendemain des journées de février 1848, une fois que l’éloquence eut cédé la place à la crise économique, et que "la France, encore une fois effrayée par les dangers de la liberté, se fut donné un maitre" (Lavisse). Bien entendu, le théatre, les complaintes, l’imagerie populaire et les jeux de l’oie ne manquèrent pas de prendre le relais des romans d’Eugène Sue. Deux jeux du "Juif errant" et deux autres des "Mystères de Paris" attestent que le jeu de l’oie a opéré dans les milieux populaires une percée qui se prolongera jusqu’au XXe siècle. Toutefois, à regarder de plus près "Le jeu des Mystères de Paris", on s’aperçoit qu’il souffre beaucoup de n’avoir été edité que sous le Second Empire (en 1855). Tout réalisme populaire et a fortiori socialisant en a été banni, et le graveur a réussi à faire de l’histoire de Fleur de Marie une histoire d’édification religieuse! Plus question ici de prostitution, de coups de couteau dans l’ombre. Une seule chose compte: la prise de voile de Fleur de Marie, Fleur de Marie nommée abbesse (à la case d’apothéose), la mort édifiante de Fleur de Marie (dans le coin gauche). Bref la fleur du péché était devenue sainte Marie, et on se demande avec une certaine angoisse si Eugène Sue, qui mourut exilé en Savoie en 1857, vit ce détournement religieux de son roman. La loi Falloux était passée par là (15 mars 1850) qui accordait aux autorités ecclésiastiques le controle de l’Enseignement.
 

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